Au Qatar, une villa signée Noé Duchaufour-Lawrance
AD vous emmène à l'intérieur d'un majlis (un lieu de rencontre traditionnel) situé à Msheireb, dans le centre-ville de Doha. Le but : en faire un lieu de dialogue interculturel et d'échange créatif.
Une douce brise souffle dans les couloirs ombragés qui bordent le quartier de Msheireb Downtown Doha. Des groupes de personnes sont rassemblés sous des arbres, des enfants jouent dans les piscines peu profondes qui parsèment les cours et des personnes de tous âges se déambulent sous le soleil. Abritant le Doha Design District et la biennale inaugurale Design Doha, qui réunit plus de 100 créateurs de la région MENA, le quartier s'impose comme un centre créatif majeur au Moyen-Orient. Ce n'est pas une coïncidence, il a précisément été conçu dans ce but.
Lorsque la cheikha Moza bint Nasser al-Missned a imaginé le nouveau centre-ville de la capitale qatarie, elle souhaitait créer un quartier moderne qui fasse écho à l'histoire du pays. Loin d'être un pastiche d'époques diverses, il a été imaginé comme une hybridation entre style du passé et du futur.
Les maisons de ville exclusives sont particulièrement représentatives de l'esthétique du quartier. Inspirées par le concept de cour arabe, ces demeures de couleur chamois, construites de manière durable, disposent d'entrées voûtées et des treillis en pierre taillée basés sur des formes de fleurs et de moucharabiehs.
L'architecte et designer AD 100 Noé Duchaufour-Lawrance a été invité à transformer une des maisons de ville du quartier en majlis contemporain voué à l'échange créatif.
« Je n'étais pas sûr de pouvoir mener à bien un projet aussi important. L'idée que cette maison soit espace de dialogue par le biais du design et de l'artisanat m'a cependant beaucoup plu et m'a motivé à m'impliquer », se souvient le designer, qui avait déjà travaillé pour la Fondation du Qatar.
Lorsqu'on travaille dans une région aussi riche en diversité géographique et en influences culturelles que le Qatar, la solution de facilité aurait été de représenter toutes les formes d'artisanat local dans le majlis. Or la cheikha Moza bint Nasser al-Missned a préféré que l'architecte imagine quelque chose de nouveau.
« Les mots utilisés par la cheikha Moza bint Nasser al-Missned au début du projet m'ont montré à quel point sa vision est artistique, se souvient le designer. Elle voulait quelque chose de sophistiqué. J'ai donc cherché à exprimer la pureté dissimulée derrière l'extravagance typique du design arabe et ça n'a pas toujours été facile, mais cela a été très gratifiant. »
Pour imaginer le lieu, Noé Duchaufour-Lawrance s'est plongé dans l'histoires des chasseurs de perles autochtones. Il s'est intéressé aux liens de la région avec des communautés indiennes, à l'influence de la culture bédouine et aux liens commerciaux séculaires entre le Qatar et le reste du monde.
« J'ai demandé à être emmené dans le désert et j'ai été invité dans des majlis privés afin de comprendre leur histoire et de voir comment fonctionnent les maisons et les familles arabes. Je n'ai jamais cherché à créer un nouveau majlis – ce n'est pas mon rôle – mais ces expériences m'ont aidé à concevoir les bons objets et à choisir des artisans et des collaborateurs adéquats », explique Noé Duchaufour-Lawrance.
« Je me suis retrouvée à jouer le double rôle de designer et de décorateur », explique Duchaufour-Lawrance, qui s'est inspiré du paysage majestueux du Qatar, qui s'étend du golfe Persique aux vallées et aux montagnes, pour dessiner les meubles et choisir les œuvres d'art associés.
Les références locales ne sont pas immédiatement apparentes dans la demeure (c'était l'objectif). Or les dunes qui bordent Khor Al Adaid, la mer intérieure du Qatar, se révèlent dans les courbes des canapés généreux, tandis que les tables basses en laiton martelé rappellent les formations rocheuses trouvées dans la région de Zekreet, au nord-ouest du pays. Les roses des sables, ces formations de cristaux présentes dans le désert du Qatar, sont quant à elles représentées au niveau des grands panneaux ajourés qui bordent le majlis.
« Toutes ces idées sont nées de la volonté de faire entrer l'extérieur à l'intérieur de la maison », explique le designer. Résultat : ici, tout est calme et discret, rien n'est réducteur ou évident. « J'ai essayé de trouver le juste milieu entre modernité et classicisme, et cela, sans être nostalgique de quoi que ce soit. J'ai voulu mettre en avant des formes pures et des matériaux naturels. »
Noé Duchaufour-Lawrance a toujours refusé d'approcher la décoration de façon ornementale. Pour lui, « la décoration vient des objets et des meubles. Ce sont eux qui donnent de l'ampleur et de l'humanité à un volume ».
Une palette discrète composée de lin pierreux, de tissu bouclette, de bois et de laiton battu – tous affinés à la perfection – a été appliqué à l'ensemble de la maison. Le salon à double hauteur, à partir duquel rayonnent les espaces publics et privés, sert de majlis moderne. Chaque objet raconte une histoire différente, liée à celle du Qatar, dans la villa, de la lampe en laiton perforé qui flotte au-dessus de la table à manger comme un filet de pêche, aux scènes de nature gravées sur une table en cuivre dans le salon.
« Ma principale source d'inspiration est l'universalité, conclut Noé Duchaufour-Lawrance. J'intègre cette idée au processus de création afin que mes décors parlent à tout le monde. Nous sommes éduqués à repérer en premier lieu les différences, mais je crois que nous sommes tous liés à quelque chose de bien plus grand que nous-mêmes. »
Article initialement publié dans AD Middle East.