En Normandie, une maison de maître aux accents contemporains
Nous sommes en terres normandes, entre Deauville et le Perche. Acquise par un couple de Londoniens, cette bâtisse du XIXe siècle présentait tous les atours de la maison de campagne idéale, façon Moulinsart (le château de Tintin). Mais ses volumes manquaient de charme et d'une identité marquée. Habituée à rafraîchir les lieux chargés d’histoire, l'architecte d'intérieur Lauranne Elise Schmitt est intervenue en respectant le classicisme implicite du site, tout en le faisant vivre avec son temps. À l'aide de tonalités profondes, sa signature, elle a admirablement réveillé la belle endormie.
L'héritage patrimonial et familial
La demeure offrant une vue directe sur le château voisin de Guillaume le Conquérant, Lauranne Elise Schmitt a dû composer avec quelques contraintes des Bâtiments de France, notamment sur les coloris. « Et même si le bâtiment n'est pas classé lui-même, il a été conçu en pierre de Caen [une pierre de taille] aux alentours de 1850, donc un certain classicisme s'imposait dans l'aménagement », précise-t-elle. Autre paramètre important, le propriétaire a racheté le bien à ses propres parents, teintant de fait la rénovation d'une valeur sentimentale. « Ils voulaient penser ce pied-à-terre comme leur résidence principale, explique l'architecte d'intérieur, pour que leurs enfants y créent leurs souvenirs ». Une fois ces conditions posées, Lauranne Elise Schmitt a œuvré à « créer la surprise dans chacune des pièces et dessiner une atmosphère qui rende le parcours intéressant ».
« Un petit hôtel »
Élevée sur deux étages, riche de 500 mètres carrés, la propriété s'est finalement offerte comme « une grande maison d'hôtes, un petit hôtel, pouvant tout de même accueillir une vingtaine de personnes ». Guidée par l'esprit d'une villa de famille accueillante, l'architecte d'intérieur a travaillé sur une harmonie qui mêle la modernité au charme de l'ancien, sans tomber dans le cliché de la maison de campagne, des toiles de Jouy et des boiseries excessives. « Les propriétaires sont des citadins qui habitent Londres, avec une vie sophistiquée, urbaine, rappelle-t-elle. Je me suis donc efforcée de créer une ambiance pas trop rurale, mais qui pourrait, au contraire, aussi bien convenir à une maison de ville ».
Une palette chaleureuse
Pour amorcer ce récit visuel, l’entrée donne le ton avec des teintes pastels évoquant les paysages environnants. « Je voulais que l’on pénètre dans un tableau végétal, un sas de décompression qui crée une vraie rupture avec la ville. Relier le dedans et le dehors sans tomber dans l’évidence du papier peint fleuri », explique-t-elle. Imaginé comme un boudoir ou une cigar room, le petit salon cultive une atmosphère chaude, confidentielle, à l'aide de tons suaves et de matières enveloppantes. « Cette pièce crée également le contraste, ajoute l'architecte d'intérieur. La douceur des assises en velours apaise la sobriété de la table basse géométrique, que j'ai dessinée comme dans un gentlemen's club italien des années 1980, où jouer au backgammon. »
Le twist contemporain
Le grand séjour et la salle à manger expriment davantage de classicisme — moulures, lustres et cheminée ; tout en recelant quelques twists, à l'instar de la mosaïque contemporaine de Pierre Mesguich sur le plateau de la table à manger « aux motifs assez traditionnels de végétation, mais aux couleurs plus pop comme le vert menthe ». Pendant du petit salon, la bibliothèque a remplacé la pièce consacrée aux chiens des précédents occupants. Un espace habité, donc, et pensé comme dans un château par l'architecte d'intérieur, avec une échelle pour accéder aux ouvrages les plus élevés, logés sous 3,50 mètres de hauteur. « La propriétaire est une grande lectrice, qui répertorie ses livres sur une application. Cette bibliothèque est un havre de paix où s'échapper du monde, mais aussi un lieu de transmission, où elle partage sa passion littéraire avec ses enfants. »
La cuisine, elle, joue davantage la carte champêtre, dévoilant un vaisselier toute hauteur, sans pour autant forcer la rusticité. « Je la voulais élégante avec du bois, des miroirs pour agrandir l'espace et des objets de décoration contemporains pour tempérer l'aspect fonctionnel de la cuisine », indique Lauranne Elise Schmitt.
Confort et sophistication
Créée à l'image d'une suite d'hôtel, la chambre principale est doublée d'une salle de bains « pas seulement pratique, mais où l'on veut passer du temps », d'où l'apport d'un fauteuil et d'une large baignoire où se détendre, autour d'une esthétique « petit salon » volontairement travaillée — moulures, fresque... « Quand on a des enfants, on a envie de se prélasser dans son bain, se sentir hors du temps », note l'architecte d'intérieur, qui a, là encore, usé de bois (un chêne teinté acajou) pour allier classicisme, raffinement et modernité sur la vasque.
Côté enfants, les chambres adoptent un look plus british, à la manière de Wes Anderson, coloré et suranné. Aussi, afin d'identifier chaque chambre, différentes nuances ont été appliquées, créant un mini-univers pour chaque membre de la famille. Les salles de bains, habillées de carreaux brillants, insufflent « l'ambiance d'une école anglaise, avec les bonnes couleurs, les bons habits ». Enfin, clou du spectacle, la piscine — de quelque 60 mètres carrés – vient se fondre dans le jardin, où 300 nouveaux arbres ont été plantés et une fontaine ajoutée, conférant définitivement à ce domaine les qualités d'un vrai château normand.
Lauranne Elise Schmitt : lauranneeliseschmitt.com — Instagram : @lauranneeliseschmitt