Biennale de Boukhara 2025 : 3 artistes nous dévoilent leurs projets en avant-première
Louis Barthélemy (France)
en collaboration avec Abdurahim Umarov (Ouzbékistan)
Créatures fantastiques de la Route de la Soie : une série monumentale de bas-reliefs pour la mosquée Khoja Kalon à Boukhara, 2024-2025.
Le concept ? Pour la Biennale de Boukhara 2025, Louis Barthélemy, en collaboration avec le maître artisan Abdurakhim Umarov, a imaginé des créatures imaginaires à partir de plâtre sculpté traditionnel. Apposés sur le mur extérieur de la mosquée Khoja Kalon, ces panneaux s’inspirent d’anciens manuscrits illustrés où plusieurs histoires sont racontées dans une seule image. Chaque panneau représente des céréales, des épices, des fruits et des insectes, symbolisant les notions de mémoire, de nourriture et les traditions agricoles de la région.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre projet ?
Le projet s’intitule Créatures fantastiques de la route de la soie. Il s’agit d’un grand bas-relief mural composé de six panneaux qui met en scène une procession d’animaux imaginaires, composés de fruits, d’épices, de céréales, d’insectes… Un bestiaire hybride, inspiré des miniatures persanes et de l’univers d’Arcimboldo. Ces figures incarnent le merveilleux, la fertilité, et surtout la richesse des échanges culturels qui ont nourri la route de la soie. Le dessin m’a pris plusieurs semaines, mais la réflexion a commencé dès novembre dernier, à l’invitation de Diana Campbell et de l’équipe curatoriale. J’ai mené de nombreuses recherches sur la région, ses récits, ses matières. Le projet s’est transformé au fil des lectures, des discussions, des rencontres. Ce fut un véritable cheminement, organique et nourrissant. Aujourd’hui encore, nous sommes en pleine phase de production avec l’atelier.
Pouvez-vous nous parler de l’artisan avec qui vous collaborez ? Comment vous êtes-vous choisis ?
Je collabore avec Abdurakhim Umarov, un maître artisan basé à Tachkent, spécialiste du ganj, un enduit sculpté à la main. La rencontre a été rendue possible grâce à l’équipe de la biennale. C’est un homme d’un certain âge, d’une vivacité et d’une passion impressionnantes, malgré la fragilité de son corps. Il m’a reçu chez lui, entouré de sa famille, avec une chaleur désarmante. Il avait préparé des albums photo de ses projets, partagé des souvenirs de ses voyages en France… Il y avait une générosité, une joie du partage très touchantes. Bien sûr, j’ai rencontré d’autres artisans au cours de mes repérages. Mais avec lui, une connivence immédiate s’est créée. Un désir réciproque de travailler ensemble est né, tout simplement.
Comment se déroule le processus de travail avec lui ? Que vous a apporté ce projet ?
Nous avons d’abord beaucoup échangé sur les croquis, les volumes, les références. Puis l’atelier a réalisé un prototype pour tester les textures. J’y suis retourné ensuite pour affiner les détails. C’est un dialogue constant entre dessin, main et matière. Le projet est toujours en cours de production. Nous souhaitons y intégrer des éléments de mosaïque émaillée, inspirés d’une fresque que j’ai vue chez Abdurakhim. Les couleurs étaient sublimes, et cela nous permettrait d’explorer une combinaison inédite dans cette technique du ganj. La technique du ganj sculpté m’était totalement inconnue, tout comme les subtilités des pigments minéraux locaux ou des émaux céramiques. Ce sont des savoir-faire d’une immense finesse, qui ouvrent de nouveaux horizons pour ma pratique. Je sens que ce projet initie pour moi un véritable chapitre en Asie centrale. L’Ouzbékistan, peut-être au-delà. C’est une région foisonnante, encore peu explorée dans mon travail, et c’est extrêmement exaltant.
www.instagram.com/louisbarthelemy
Subodh Gupta (Inde)
en collaboration avec Baxtiyor Nazirov (Ouzbékistan)
Salt Carried by the Wind, 2024-2025.
Le concept ? L’installation de Subodh Gupta située à l’extérieur du caravansérail Ayozjon fait écho à la forme architecturale de la mosquée Magoki Attori, la plus ancienne mosquée encore debout en Asie centrale. Cette zone était autrefois un marché aux épices, situé à proximité d’un dôme commercial historique qui accueillait les marchands indiens. C'est ce qui a incité Subodh Gupta à explorer le patrimoine culinaire commun et les échanges culturels entre Asie centrale et du Sud. Construite à partir d’émail produit en série, que l’on trouve couramment dans les foyers ouzbeks, la structure contrastera avec la vaisselle créée en collaboration avec le maître céramiste Baxtiyor Nazirov. Le pavillon sera activé à différents moments lorsque Subodh Gupta cuisinera et servira lui-même la nourriture, transformant l’acte de cuisiner en un rituel performatif.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre projet ?
Ce projet est en cours depuis assez longtemps, et à bien des égards, il est toujours en cours. Il s’agit d’un travail profondément ancré dans la recherche et très lié à la communauté locale, non seulement à Boukhara, mais aussi à d’autres régions d’Ouzbékistan, où j'ai développé ce projet. Je me suis déjà rendu deux fois en Ouzbékistan pour passer du temps avec les artisans et les artisans locaux. Ce fut un voyage collaboratif et créatif.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’idée de participer à la Biennale de Boukhara ?
J’ai été invité par Diana Campbell, la commissaire de la Biennale de Boukhara. Le thème de cette année est Recipes for Broken Heart, qui m’a immédiatement interpellé. Bon nombre de mes œuvres passées ont exploré le concept de la cuisine et de la nourriture comme forme de guérison, de narration et de connexion, souvent à travers des installations. Lorsque j'ai entendu le thème, j’ai donc senti qu’il me correspondait parfaitement. C’est un projet ambitieux dans une région passionnante du monde, et j’étais curieux de savoir comment mon travail serait accueilli. Une nouvelle biennale, c’est toujours passionnant car cela ouvre de nouveaux horizons aux artistes de la région et au public. Ce qui m’a vraiment attiré, c’est la dimension émotionnelle et poétique de l’idée : des recettes non seulement pour cuisiner, mais aussi pour réparer et créer des liens. J’y ai également vu une occasion de faire quelque chose de différent de mes travaux précédents, tout en poursuivant mon engagement auprès des communautés locales. Je suis impatient de créer une installation qui implique un dialogue et une interaction avec les habitants de Boukhara.
Pouvez-vous expliquer en quoi cette association enrichit votre pratique artistique ?
Cette collaboration s’est développée de manière organique. J’ai passé beaucoup de temps avec les artisans locaux, à apprendre à les connaître, à comprendre leur mode de vie. Ce n’est pas seulement moi qui les ai choisis ou eux qui m’ont choisi, c’était réciproque. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, avons partagé des idées et avons trouvé un lien grâce à ce processus. Je m’appuie sur les compétences acquises dans mon atelier et ma manière de travailler, et nous trouvons un terrain d'entente pour aller de l’avant. C'est devenu l’un de mes projets les plus importants, et il est toujours en cours. Chaque fois que vous travaillez sur un projet créatif comme celui-ci, vous apprenez quelque chose. Chaque projet est différent, et celui-ci est également unique. Je continue d’apprendre.
www.instagram.com/subodhguptastudio
Marina Perez Simão (Brésil)
en collaboration avec Bakhtiyar Babamuradov (Ouzbékistan)
Sans titre, 2024-2025.
Le concept ? Pour la Biennale de Boukhara 2025, Marina Perez Simão a prévu de créer une mosaïque en céramique en collaboration avec le maître mosaïste traditionnel de Boukhara, Bakhtiyar Babamuradov, afin de créer une carte céleste d’un univers imaginaire qui tombe du ciel sur le sol du caravansérail. L’œuvre s’inspire de la riche histoire de l’Ouzbékistan en matière de développement d’instruments astronomiques permettant de mesurer notre place dans le monde par rapport à notre place dans l’univers.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre projet ?
J’ai été chargée de créer une grande mosaïque à partir d’une aquarelle originale que j’ai réalisée spécialement pour cet espace. Le travail est toujours en cours, nous avons commencé il y a plusieurs mois. Les carreaux ont été teints à la main selon des méthodes traditionnelles. J’ai essayé d’incorporer certaines des couleurs traditionnelles de la région, ainsi que ma propre palette.
Pouvez-vous nous parler de l’artisan avec qui vous collaborez ? Comment vous êtes-vous choisis ?
Bakhitiyor Bobumurodov est un maître mosaïste renommé. Il travaille depuis de nombreuses années en utilisant les techniques traditionnelles ouzbèkes et est également connu pour la restauration de bâtiments historiques. Son expertise, notamment en matière de couleurs et de formes, est remarquable. Il travaille avec une grande attention aux détails et son équipe est vraiment excellente. J’ai discuté avec plusieurs artisans avant de le rencontrer, mais dès que j'ai visité son atelier, j’ai su que je devais travailler avec lui. J’avais peur qu’il soit trop occupé pour mon projet, mais heureusement, il a accepté et a immédiatement compris ce que je recherchais. Nous avons tout de suite trouvé un terrain d’entente. À la fin de notre conversation, le traducteur n’avait presque plus besoin d’intervenir, nous nous comprenions parfaitement. Je ne voulais pas trop lui imposer mes idées. Je voulais qu’il interprète l’œuvre à travers son propre parcours. Mon aquarelle sert de guide, mais il est aussi un artiste : il traduit ma vision dans sa propre technique. L’objectif est de créer un véritable dialogue avec le lieu.
Avez-vous appris de nouvelles techniques ou compétences ?
Je n’ai pas appris à faire moi-même des mosaïques, mais j’ai beaucoup appris sur cette technique et ce qu'elle implique. Cela a été une expérience vraiment enrichissante. Je n’ai jamais réalisé une œuvre aussi grande auparavant. Cela demande beaucoup de préparation et de temps. Jusqu’à présent, la plus grande œuvre que j’avais réalisée était une fresque de 12 mètres, également commandée par Diana Campbell pour un projet précédent. C’est la première fois que je m’attaque à un projet d’une telle envergure. Cela demande également beaucoup de confiance pour collaborer avec un autre artiste et toute une équipe.
www.instagram.com/marinasimao__
Pour en savoir plus, lisez l’article : Biennale de Boukhara 2025 : tout ce qu’il faut savoir sur cette nouvelle biennale d’art contemporain.
Recipes for Broken Hearts, du 5 septembre au 20 novembre, en savoir plus : @bukhara.biennial