Organisée sous l’égide de Gayane Umerova, commissaire de la Biennale de Boukhara et présidente de la Fondation pour le développement de l’art et de la culture en Ouzbékistan (ACDF), et curatée par la directrice artistique Diana Campbell, la Biennale de Boukhara est un nouvel événement artistique sur lequel il va falloir compter. Inaugurée le 5 septembre prochain, elle proposera de nombreux temps forts pendant une durée de dix semaines et sera ouverte à tous gratuitement, l’idée étant d’impliquer la population locale et notamment les plus jeunes, 60% de la population ouzbek ayant moins de trente ans.
L’objectif de cette biennale ? Associer des artistes locaux et internationaux à des artisans ouzbeks afin de former des duos à travers 70 projets exclusivement réalisés en Ouzbékistan, et par là même favoriser le partage créatif et la découverte du patrimoine culturel du pays. L’ Ouzbékistan compte environ 28000 artisans, ce qui en fait un formidable vivier. À l’époque soviétique, il n’y avait pas de particularité, pas de savoir-faire, tout a été gommé pour une homogénéité parfaite, aujourd’hui la volonté de créer est plus forte que jamais. C’est en 2023 que naît le projet autour du thème Recipes for Broken Hearts imaginé à partir du plov, plat traditionnel ouzbek, et c’est en février 2024 que les premiers artistes rencontrent les artisans.
« L’idée de lancer une biennale à Boukhara est née d’une volonté de raviver et de reconnecter la ville avec le reste du monde, tout en contribuant, dans une certaine mesure, à réaffirmer son héritage en tant que lieu prospère d’études intellectuelles, d’échanges et de production créative », nous explique Gayane Umerova, « Il a été décidé qu’une initiative significative en art contemporain — tel un rendez-vous régulier — s’inscrirait naturellement dans les racines de Boukhara, ancien carrefour de collaboration sur la Route de la Soie, et créerait un moment dédié à la célébration de la créativité sous toutes ses formes, dans une ville où, par exemple, l’artisanat est particulièrement valorisé ».
Diana Campbell, directrice artistique de cette première édition, complète : « Gayane Umerova rêvait de créer la Biennale de Boukhara depuis plusieurs années lorsqu’elle m’a invitée à la rejoindre en tant que commissaire de la première édition en octobre 2023. J’ai accepté de participer à ce projet en raison du contexte unique qui permettait de travailler avec des artistes et des artisans d’une manière nouvelle, à très grande échelle, et dans un lieu qui, selon moi, pouvait changer ma façon de voir le monde ».
Et d’ajouter : « Toutes les œuvres d'art sont des commandes nouvelles réalisées en Ouzbékistan, en collaboration avec des Ouzbeks qui vivent et travaillent dans ce pays. Cela signifie que cette exposition aura un ancrage local qui fait défaut à la plupart des biennales. C'est également une biennale où personne n’a jamais vu les sites qui accueillent les œuvres d’art auparavant. Il y aura donc un sentiment de nouveauté que l'on ne ressent pas lorsqu’on visite Venise, où l’on reconnaît les lieux des éditions précédentes. De plus, nous faisons le choix audacieux de présenter les œuvres d’art dans l’environnement dans lequel elles ont été créées, sous le soleil et les vents de Boukhara. Nous présentons l’art comme faisant partie de la vie, et non comme une vitrine séparée de la vie ».
Des grands noms de l’art contemporain figurent au programme de cette édition comme l’artiste britannique Antony Gormley, séduit par le dynamisme de Diana Campbell : « Je travaille depuis 15 ans avec des artistes du calibre d’Antony Gormley dans des contextes tels que l’Inde et le Bangladesh, et les artistes me font confiance lorsque je les invite dans un nouveau contexte, car ils savent que ce contexte transformera leur façon de penser. Antony et moi avons travaillé ensemble au Bangladesh et au Brésil, et je savais que visiter l’Ouzbékistan était un rêve qu’il caressait depuis 50 ans. J’ai invité des artistes dont je savais qu’ils pouvaient rêver à une nouvelle échelle et d’une nouvelle manière depuis Boukhara ». Parmi les autres artistes internationaux présents, citons notamment Louis Barthélemy, Laila Gohar, Subodh Gupta, Carsten Höller, Eva Jospin, Marina Perez Simão…
Accessible en seulement 2h de train depuis Tachkent, la capitale du modernisme ouzbek, ou en 4h depuis Istanbul en vol direct, la vieille ville de Boukhara connaît un fort développement ces derniers mois avec d’importants moyens mis en œuvre pour restaurer, dans le plus grand respect, les différents sites historiques, piétonniser les espaces pour rendre la circulation plus agréable, supprimer certaines publicités polluant visuellement l’espace… le tout sous l’égide de l’Unesco. La zone sera transformée en district culturel avec des installations dispersées sur les différents sites.
S'étendant sur 500 mètres d’espace public, la Biennale de Boukhara relie ces sites d’exposition à des œuvres d'art conçues pour susciter des échanges significatifs entre les visiteurs et la communauté locale. Parmi les sites patrimoniaux impliqués, on retrouve la madrasa Rashid, la madrasa Gavkushon (construite en 1570), Khoja Kalon et quatre caravansérails interconnectés : Fothullajon, Ayozjon, Ahmadjon et Mirzo Ulugbek Tamokifurush, qui remontent au XVIIIe siècle. L’architecture du lieu fera partie intégrante de la biennale et chaque contrainte sera habilement contournée, un pilier impossible à déplacer deviendra une assise pour un moine en pleine méditation, une niche dans un mur abritera une photographie, le sol d’une cour accueillera une mosaïque…
« La biennale s’inscrit dans un projet plus vaste pour la ville, qui comprend un plan minutieux de conservation et de restauration, ainsi que la mise en place de nouvelles infrastructures destinées aux industries créatives — notamment un quartier culturel permanent et évolutif, composé de monuments historiques jusqu’ici inoccupés. La biennale est intimement liée à l’architecture de Boukhara : elle redonne une fonction à ces bâtiments, tous en cours de restauration en vue d’un nouveau chapitre, tout en offrant aux artistes une plateforme ancrée dans le XXIe siècle » ajoute Gayane Umerova. « En 2023, Boukhara a rejoint le Réseau des villes créatives de l’Unesco, ce qui a encouragé de nouveaux investissements dans l’artisanat, les arts populaires et l’architecture — autant d’éléments distinctifs de l’identité culturelle de Boukhara que nous cherchons à préserver. Cependant, la ville manquait depuis longtemps d’un projet structuré et d’investissements en faveur de la culture contemporaine, en particulier pour les jeunes générations. ».
Par ailleurs, tous les participants à la Biennale de Boukhara bénéficient du soutien de l’ACDF, à travers une contribution financière égale pour chacun. Son rôle est essentiellement celui de médiateur et de facilitateur, afin d’impliquer les artisans locaux les plus qualifiés dans les projets développés. De plus en plus d’artistes ouzbeks se font remarquer dans les industries créatives internationales : « À la Fondation, l’un de nos objectifs est d’améliorer la visibilité du patrimoine de l’Ouzbékistan et d’élargir l’accès aux ressources. [...] Nous invitons ou aidons par exemple des artistes à présenter leurs œuvres lors d’événements et dans des musées. À ce jour, nous avons mené des initiatives à l’India Art Fair, à l’Expo Osaka, à l’Institut du Monde Arabe à Paris, à la Design Doha Biennale, à l’Homo Faber de la Fondation Michelangelo, à la Biennale de Venise et au Victoria and Albert Museum ».
Parmi les actualités à suivre en Ouzbékistan en cette fin d’année, le lancement de nouvelles résidences d’artistes signées Studio Ko au Centre des arts contemporains de et le début des travaux du nouveau Musée national des arts, conçu par Tadao Ando à Tachkent. La ville de Samarcande accueillera quant à elle la 43e Conférence générale de l’Unesco à la fin du mois d’octobre.
Pour en savoir plus, lisez l’article : Biennale de Boukhara 2025 : 3 artistes à suivre de près.
Recipes for Broken Hearts, du 5 septembre au 20 novembre, en savoir plus : @bukhara.biennial