Tout savoir sur le décor du clip NUEVAYoL de Bad Bunny
C’est est un morceau lourd de sens. Le nom, NUEVAYoL, écrit selon la prononciation portoricaine de New York, critique la modernisation de Porto Rico, territoire d’où est originaire Bad Bunny, et la politique des États-Unis qui met en danger les populations étrangères sur le sol américain. Le morceau rythmé et chargé d’influences diverses s’illustre par un clip presque surréaliste dirigé par Renell Medrano dans le Meister’s Hall du Bronx Community College à New York.
Un clip comme contraste entre deux cultures
Le vidéo clip de Bad Bunny commence dans le froid new-yorkais. La neige couvre le sol, flagrant contraste avec le climat portoricain, alors que le chanteur se rend à une quinceañeras (la fête traditionnelle qui célèbre les 15 ans d'une jeune fille en Amérique du Sud), dans les profondeurs du Meister’s Hall. La soirée se déroule dans une salle sombre, comme dans un autre monde, alors que les participants ressortent dans le décor par les couleurs de leurs vêtements.
Le lieu éclairé au néon blanc crée un contraste entre le présent bien réel de la communauté portoricaine aux États-Unis — par conséquent, de toutes les communautés mises à la marge par le gouvernement de Donald Trump — et un futur flou où cette communauté existe toujours malgré les épreuves, les modernisations rapides, et les tendances auxquelles elle est confrontée. Le Meister’s Hall agit ici comme un huis-clos, un microcosme représentatif de la stérilité des États-Unis, rendus vivants et réels par les communautés étrangères qui le dynamisent.
Le bâtiment, une haute structure en béton, s’élève au cœur du campus étudiant du Bronx comme le miroir d’un futur cyberpunk. Devant lui s’étend une esplanade grise de près de 2 050 mètres carrés. Cette architecture brutaliste, presque sinistre, a été construite en 1967 et dessinée par Marcel Breuer, célèbre architecte hongrois et l’un des pères du modernisme, comme le hall monumental d'un site universitaire du Bronx Community College.
Avec près de 2 140 mètres carrés, le bâtiment, dont certaines salles sont abandonnées, crée un contraste flagrant avec le reste du campus, construit autour de la Gould Memorial Library, datée de 1899. Là où, selon le média en ligne Bronx Architecture, « les architectes avaient généralement eu la bonne idée d’éviter la compétition avec les bâtiments originaux », le Meister’s Hall et sa façade gaufrée, lieu spécifique du tournage du clip de NUEVAYoL, se place en opposition flagrante avec cette tendance. « A NYU [l’université de New York], le travail de Breuer était conçu sur des principes fondamentalement différents de ceux qui avaient permis la construction des bâtiments voisins, ce qui produisait un contraste bien plus satisfaisant que l’aurait été une quelconque tentative d’harmonisation avec le décor existant ».
Le brutalisme vivant, ou faire de l'organique avec du béton
Brutaliste, c’est le bon terme, car le béton n’est pas seul à faire de cet espace un lieu brutal, avec ses « volumes massifs et ramassés aux courbes tombantes, les colonnes courtes et évasées, et les entrées en forme de boîte qui s’enfoncent dans les entrailles de bâtiments par le bas. C’est une sorte d’étrange sculpture abstraite — un biomorphe distinct de l’abstraction géométrique qui l’entoure — et en même temps quelque chose de strictement fonctionnel ». En 1973, l’école qui gérait le campus a été obligée de le vendre à la municipalité de la ville qui en a fait le cœur du City University’s Bronx Community College.
Ce Meister’s Hall est la représentation parfaite de cette architecture interconnectée mais étrangement inhospitalière en apparence. Les murs extérieurs du centre portent des formes géométriques comme les alvéoles d’un insecte inconnu, et l’entrée, un baldaquin de béton que les étudiants appellent le « potato chip » paraît bien plus austère que le porche romain de la librairie du campus. Le « béton brut », cette surface grise presque nue, couvre la plupart des bâtiments construits par Marcel Breuer, marqués par le bois qui a pu servir de moule à la plupart des textures anguleuses des bâtiments.
Autour du Hall, les constructions de l’architecte Stanford White occupent l’espace, « avec l’ordre comme directive principale. Alors qu’ils partagent le même langage néoclassique, ils forment une hiérarchie de taille, de forme et de positionnement ». Les quatre bâtiments dessinés par Marcel Breuer, dont le Meister’s Hall, brisent ce schéma hiérarchique. « La relation clé entre les structures de Breuer n’est pas l’ordre, mais l’interdépendance », selon Bronx Architecture. « Chaque grand bâtiment est connecté par une sorte de cordon ombilical à un autre plus petit. Dans les faits, chaque paire forme ce que Breuer appelait un bâtiment « binucléaire », c’est-à-dire deux espaces qui assurent deux fonctions liées sans que celles-ci ne soient rassemblées dans une même enveloppe ».
Quel usage aujourd'hui ?
Aujourd'hui, le Meister's Hall sert de lieu d'enseignement, mais aussi de restauration et de relaxation. Sa bibliothèque, jusqu'à présent abandonnée, doit être rénovée prochainement. Le pavillon d'entrée sera vernis, et l'espace intérieur élargi avec un éclairage additionnel pour améliorer l'ambiance, le confort, et l'efficacité du Hall. La rénovation remplacera les systèmes mécaniques, l'éclairage, et viendra inclure des accès inclusifs pour les personnes en situation de handicap.