Un appartement parisien aux notes théâtrales
« Je voulais quelque chose de très théâtral, de très vivant pour cet appartement avec, dès l’entrée, quelque chose qui fasse son effet. J’ai donc opté pour du velours marron glacé sur les murs, la création d’une arche pour marquer l’espace, l’ajout d’une niche avec une sellette en marbre et d’un vitrail pour brouiller la vue sur la courette, le tout associé à un plafonnier en toile de Tobia Scarpa aux dimensions imposantes. De même, pour la petite passerelle vitrée assurant la transition vers les chambres, j’ai cherché à la rendre plus atypique, avec des rideaux froufroutants dans un esprit vénitien », explique d’emblée l’architecte Marine Bonnefoy, chargée de la rénovation de cet intérieur familial de 360 mètres carrés.
Un décor davantage en adéquation avec la personnalité fantasque de sa propriétaire, qui s’était d’abord installée en posant juste ses meubles, sans vraiment réfléchir à la décoration. Un décor mêlant également les cultures, cette dernière étant de nationalité anglaise, mais ayant vécu tout autant au Koweït qu’en Italie. « Tu choisis ce que tu veux parmi le mobilier et ce que tu ne prends pas, on le vend », a-t-elle intimé dès le début. Soit une carte blanche totale laissée à l’architecte. Finalement, 99 % du mobilier n’a pas été conservé, hormis quelques pépites vintage et tapisseries anciennes, afin de dénicher de nouvelles pièces dans des maisons de ventes ou sur des sites d’enchères en ligne.
Datant des XVIe et XVIIe siècles, les multiples tapisseries ponctuent l’appartement de touches historiques. Si l’architecte était un peu sceptique au départ à l’idée de les réutiliser, elle a fini par les marier à des pièces plus contemporaines, comme cette sculpture de Daphné Corregan intitulée Le Souffle, qui prend tout son sens dans le salon de musique, ou cette œuvre en cire de Juliette Minchin qui habille un des murs du séjour.
Connue pour orchestrer des réceptions accueillant le tout-Paris – elle a notamment organisé chez elle l’inauguration de l’exposition consacrée à Frank Horvat au Jeu de Paume – la propriétaire souhaitait un lieu décomplexé et polyvalent pour à la fois recevoir et vivre avec sa famille, et où l’on puisse circuler aisément.
« Cet appartement Belle Époque renvoie aux notions de plaisir, d’hédonisme, de gaieté. Il y a aussi une référence à l’Art nouveau avec les jardins. La salle à manger a quelque chose d’un jardin suspendu, un jardin d’hiver, où la table a été conçue en ferronnerie, comme si c’était une table d’extérieur. On a essayé de travailler tous ces univers et de les mélanger pour que ce soit une fête », résume Marine Bonnefoy. C’est sans compter également le passé artistique de cet immeuble de 1910, qui abritait au début du XXe siècle le « couvent des oiseaux », où le peintre Henri Matisse habitait avec sa famille et où il créa son école de peinture. Un juste retour aux sources pour la propriétaire proche du monde des arts et qui déborde d’imagination. Ainsi, s’affranchissant des codes de la décoration, n’hésite-t-elle pas à utiliser plutôt l’envers des tissus pour ses coussins et ses rideaux, ou à poser du papier peint uniquement sur les portes des chambres. Dans le salon, ce sont de simples voilages qui ont été privilégiés afin de laisser entrer la lumière.
Une lumière qui change selon les saisons et les pièces, et qui offre également une ambiance différente selon les couleurs des peintures sur les murs – allant du jaune au mauve –, permettant d’accentuer les perspectives ou les matières utilisées, tel le sisal dans les chambres, qui apporte un supplément de chaleur. La salle de bains de la suite parentale était auparavant une chambre, elle en a donc conservé les volumes et offre un espace suffisamment grand pour accueillir une baignoire installée sur une estrade : « J’aime l’idée de mettre en scène les gestes du quotidien, comme de monter une marche pour atteindre la baignoire », explique l’architecte. La cuisine aussi a été entièrement refaite avec une partie noble en bois rouge et un évier en cuivre qui donne sur la salle à manger, et une partie plus technique en bois de liquidambar. « J’ai essayé d’imaginer un lieu entre parenthèses, qui fasse appel à l’imaginaire, aux rêves, à la poésie, à l’ailleurs. » Pari réussi, nous voilà transportés.